Ressources Humaines

Dirigeants : la solitude, ça existe

« Au début, j’avais 4 salariés. Et puis, j’ai doublé le chiffre d’affaires (…) et je suis passé à 7. Je faisais du bon boulot, mais je m’ennuyais. C’était la solitude totale. Je n’avais pas de challenge intellectuel et personne d’assez bon niveau pour parler du développement de l’entreprise.
#Inspiration #Organisation #Santé
10 janvier 2017

« Au début, j’avais 4 salariés. Et puis, j’ai doublé le chiffre d’affaires (…) et je suis passé à 7. Je faisais du bon boulot, mais je m’ennuyais. C’était la solitude totale. Je n’avais pas de challenge intellectuel et personne d’assez bon niveau pour parler du développement de l’entreprise. Je n’avais pas les moyens de prendre un bon manager non plus. Il y avait un commercial dont j’aurais bien fait mon bras droit, mais lui n’était pas dans cet état d’esprit. J’étais le patron, c’était à moi de prendre les décisions, il ne voulait pas s’en mêler. »

Trois quarts des dirigeants expriment un sentiment de solitude

Ce témoignage du fondateur d'une TPE est tiré de l'enquête “Vaincre les solitudes du dirigeant” (novembre 2016) menée par Bpifrance auprès de 2 400 responsables de PME et ETI ayant réalisé entre 2,5 millions et 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires.

Une enquête qui révèle que 45 % des dirigeants se sentent isolés, et 29 % “ni entourés, ni isolés”. Autrement dit : trois quarts des chefs d'entreprise expriment ce qui peut s'apparenter à un sentiment de solitude.

Périodes de crises : des moments d'isolement

Principal facteur, selon l'enquête : le poids des responsabilités et du pouvoir dans une environnement incertain. Un doute renforcé par l'incertitude et la complexité du monde. Les périodes de crise sont tout particulièrement vécues comme des moments d'isolement (voir encadré). Christophe Camaret, Président du Groupe Chastagner, une entreprise de mécanique qui emploie une centaine de salariés, constate : « La crise économique de 2008-2009 était très compliquée à gérer. C'est dans cette période que j'étais le moins connecté à mon réseau. J'ai eu des décisions difficiles à prendre, seul. J'aurais peut-être fait d'autres choix si j'avais été moins isolé. »

Deuxième facteur : le manque de reconnaissance et les préjugés à l'égard des dirigeants. Juste derrière arrive la difficulté à s'entourer : 86 % des dirigeants sondés évoquent des difficultés à s'entourer, et 42 % de façon chronique.

Des facteurs aggravants, et d'autres atténuants

En étudiant la corrélation entre différentes variables et le sentiment d'isolement, les auteurs de l'étude dégagent 7 facteurs qui amplifient la solitude par ordre décroissant d'importance :

  • l’absence d’un bras droit ou d’une personne de confiance sur laquelle le dirigeant peut se reposer ;
  • un temps de travail hebdomadaire supérieur à 70 heures ;
  • des résultats déficitaires lors de l’exercice en cours ;
  • le fait d’être seul dirigeant et propriétaire de l’entreprise ;
  • un chiffre d’affaires en baisse ;
  • des difficultés chroniques de recrutement ;
  • le fait de vivre seul, d’être célibataire, veuf ou divorcé.

À l'inverse, 5 facteurs réduisent le sentiment de solitude :

  • des résultats bénéficiaires ;
  • la mise en place d’un comité de direction ;
  • le partage du pouvoir exécutif ;
  • le recours régulier à un cabinet de conseil en stratégie ;
  • la présence d’administrateurs indépendants au sein d’un conseil d’administration ou d’un comité.

Changer sa gouvernance

Cité dans l'étude, Olivier Torrès, professeur à l’Université de Montpellier et à Montpellier Business School, fondateur d’Amarok, un observatoire sur la santé des dirigeants de PME et des entrepreneurs estime que « ce travail documentaire braque le projecteur sur un phénomène auparavant mal identifié, voire éludé, car les dirigeants ne doivent pas montrer leurs faiblesses ou leurs doutes. Du côté des solutions proposées : la mise en œuvre d’un style de management participatif, une gouvernance ouverte et une stratégie collaborative sont des voies à privilégier à la fois pour améliorer la performance mais aussi pour réduire le sentiment de solitude du dirigeant. »

C'est exactement ce qui a permis à Christophe Camaret de sortir de l’isolement qui lui avait tant pesé au moment de la crise économique. Il a changé la gouvernance de son entreprise en créant un véritable conseil d'administration, qui n'est plus une simple chambre d'enregistrement, mais un lieu de débats permettant de prendre du recul et d'aborder des sujets de fond. Il a créé une équipe de direction opérationnelle à laquelle il peut déléguer des tâches. Enfin, il a intégré le Comité de développement de la métallurgie, qui rassemble 4 000 entreprises de la mécanique et des matériaux en Pays de la Loire. Un lieu d'échanges entre égaux.

« Souvent, le chef d'entreprise se construit lui-même sa solitude, estime Christophe Camaret, faute de savoir exprimer ses faiblesses ou parce qu'il s'attribue toujours les réussites. Même si le dirigeant reste seul face à une décision, il doit être capable d'être plus transparent et savoir partager. »

Témoignage d'un dirigeant fondateur
Région Pays de Loire, industrie mécanique, 45 salariés« En 2003, j’étais dans l’incapacité de faire face à l’URSSAF, j’étais face à un mur, je n’avais pas de solutions. Seul dans ma voiture, parce que je ne voulais pas montrer à ma femme, et à mon entreprise, que j’allais mal. Je savais à quoi j’avais renoncé, et j’étais sur le point de tout perdre. J’ai vu ma vie défiler dans ma tête. J’ai pensé à mes anciens collègues de XX (grand groupe informatique) qui vivaient un âge d’or avec le retour de YY (dirigeant emblématique). C’est une solitude existentielle, un questionnement total, quasi existentiel. Je comprends que des gens commettent un acte désespéré. Finalement, je suis sorti de ma voiture et j’ai discuté avec ma femme. »