Avantages salariés

Droit à la déconnexion : l'expérience de Price Minister

Le droit à la déconnexion a été introduit par la loi Travail au 1er janvier 2017. Une révolution saluée par les observateurs du droit social qui y voient une première mondiale. Mais de nombreuses entreprises, en particulier dans la sphère numérique, n’avaient pas attendu ce texte pour introduire des dispositions analogues dans leurs pratiques managériales.
#QVT entreprise #Bien-être salarié #DRH
27 février 2017

Le droit à la déconnexion a été introduit par la loi Travail au 1er janvier 2017. Une révolution saluée par les observateurs du droit social qui y voient une première mondiale. Mais de nombreuses entreprises, en particulier dans la sphère numérique, n’avaient pas attendu ce texte pour introduire des dispositions analogues dans leurs pratiques managériales. C’est le cas de Price Minister qui a commencé à y réfléchir dès 2013. Rencontre avec Karine Favrou, sa responsable Ressources Humaines.

« Nous avons abordé ce thème de façon indirecte au départ, dans le cadre de notre plan pour l’égalité homme/femme » explique Karine Favrou, DRH du site de commerce Price Minister (200 salariés, dont un tiers environ de femmes). « Il nous est alors apparu que les collaboratrices étaient plus exposées que leurs homologues masculins à cette déviance qui consiste à se reconnecter tard le soir et à consulter ses mails, une fois rentrées à la maison ». Ce qu’elle appelle « la troisième journée » des femmes managers, après celle passée au bureau, puis celle passée à gérer la vie familiale…

Réaffirmer que la « reconnexion » n’est pas la règle

Pour marquer la séparation entre vie professionnelle et vie personnelle, il a fallu réaffirmer auprès du management que la connexion permanente des salariés ne saurait être la règle. « Nous avons réexpliqué, noir sur blanc, ce principe parfois oublié ».

La DRH a conscience que Price Minister a débroussaillé un terrain encore largement vierge d’initiatives en ce sens : « Quelques femmes néanmoins avaient des prises de position fortes sur ce thème. Je me souviens de l’intervention au Numa d’une ancienne responsable de ressources humaines qui, après des années passées chez Google, à manger des pizzas le soir dans les locaux de l’entreprise, a décidé d’en partir pour préserver sa vie de famille. Elle a monté sa propre société et instauré, pour les femmes cadres, la possibilité de quitter le bureau à 17h30 pour aller chercher leurs enfants à la crèche et s’occuper d’eux. En échange, et en cas de besoin, elles se reconnectent, une heure au maximum, une fois ces tâches familiales accomplies ».

Déconnexion et marque employeur

D’ailleurs, Karine Favrou voit aussi les bénéfices de la clarification sur l’attractivité de l’employeur. « Les outils de communication dont nous nous sommes tous progressivement équipés, nous permettent aujourd’hui d’être joints et d’échanger à n’importe quelle heure, et de n’importe où. Mais est-ce bien ce que nous voulons ? Je ne pense pas que ce soit le cas des jeunes parents par exemple. A contrario, l’affirmation de cette légitimité de la déconnexion intéresse les éventuels candidats. Et dans un secteur tendu en termes d’emploi, c’est un vrai plus pour le recrutement des meilleurs profils ».

Se passer des mails… pour mieux travailler

Price Minister est allé plus loin, en instaurant, un vendredi par mois, une journée sans email. Avec une question intéressante en filigrane : le temps passé à lire ses messages électroniques, tous les matins, à les traiter, puis à en envoyer d’autres, est-il véritablement bien utilisé ?

Ce Mail-Less Friday, proposé par le PDG Olivier Mathiot a nécessité quelques ajustements, notamment avec le management. « Au début, certains cadres préparaient leurs emails pendant la journée de coupure et les envoyaient à la fermeture » s’amuse Karine Favrou. « Mais nous avons communiqué dans leur direction et les avons incités à se réapproprier ce temps libéré pour communiquer différemment avec leurs équipes. Ils sont nombreux maintenant à organiser des petits déjeuners d’échanges, auxquels ils apportent les viennoiseries. ».

La loi vient confirmer le bien-fondé de la démarche

Avec la promulgation de la loi Travail et de son article sur le droit à la déconnexion, les partenaires sociaux ont aujourd’hui le moyen d’ouvrir le débat au sein des entreprises. Ce n’est pas un sujet d’affrontement chez Price Minister. Une heureuse conséquence de l’anticipation de l’entreprise ? « D’abord, il faut rappeler que c’est un droit des salariés, et non une règle à imposer. Concrètement, les collaborateurs qui ont des soucis en parlent à leurs délégués, c’est certain. Mais les problèmes se règlent au niveau des équipes. Je crois que l’ensemble des managers a bien intégré où étaient les limites, invisibles, à ne pas franchir ».

Pour Karine Favrou, les choses sont claires : « Je relie totalement cette maîtrise des temps de connexion et la préservation de l’équilibre vie privée/vie professionnelle avec la recherche d’une meilleure QVT dans l’entreprise ». Les coupures du soir, comme celles des week-ends, aident les collaborateurs à revenir au bureau plus reposés et plus créatifs.

Plutôt un bon dosage que des règles strictes

Avec trois ans de recul sur cette pratique de la déconnexion, le bilan de Price Minister est donc positif. « Mais tout est affaire de dosage et de bon sens» recommande sa DRH. « Nous n’avons pas mis en place d’outils de contrôle, ni de règles coercitives. Les pratiques ont ainsi pu évoluer plus naturellement. Les responsables de l’entreprise continuent par exemple à échanger en dehors du bureau, ce qui est nécessaire pour les prises de décision importantes, surtout avec une maison mère au Japon, qui a des horaires de bureau presque inversés par rapport aux nôtres ». Il peut aussi y avoir des coups de fils tardifs à certains collaborateurs, le soir, en cas d’urgence… « Mais je sais qu’ils sont rares et justifiés. Et les managers qui sont obligés de les passer sont désormais tout à fait conscients de faire exception à la nouvelle règle qui a fini par s’imposer dans l’entreprise ».

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