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Oliver Cromwell ou l'art de se confronter au réel

Les dirigeants fraîchement nommés – ou récemment élus – sont-ils condamnés à revoir leurs objectifs à la baisse une fois franchie la dernière marche du pouvoir ? Porté par ses idéaux, Cromwell a su se hisser à la tête de l’Angleterre grâce à ses qualités de leader et son extrême motivation. Mais sa volonté n’a pas suffi, confrontée à la réalité… L’historien Yann Harlaut nous explique pourquoi.
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12 septembre 2017

Les dirigeants fraîchement nommés – ou récemment élus – sont-ils condamnés à revoir leurs objectifs à la baisse une fois franchie la dernière marche du pouvoir ? Porté par ses idéaux, Cromwell a su se hisser à la tête de l’Angleterre grâce à ses qualités de leader et son extrême motivation. Mais sa volonté n’a pas suffi, confrontée à la réalité… L’historien Yann Harlaut nous explique pourquoi.

Cromwell fascine autant qu’il dérange. Partisan de la Révolution d’Angleterre, il décide de s’emparer du pouvoir par les armes. Ambitieux et d’une haute intelligence, il profite des événements complexes pour ancrer le puritanisme au cœur des institutions. Républicain, épris du rêve de liberté et d’égalité, il deviendra par la force des événements un tyran menant des répressions sanglantes en Ecosse et en Irlande. En se confrontant à la réalité des affaires, Cromwell a-t-il finalement perdu ses idéaux ?

Éloquent et passionné

Né à Huntingdon (à 100 km au nord de Londres) en 1599, Oliver Cromwell est issu de la gentry, petite noblesse provinciale. Il reçoit une solide éducation, mêlant instructions et valeurs puritaines. Il quitte l’Université suite au décès de son père et trouve grâce au mariage une aisance financière. Cette union lui ouvre également d’importants réseaux à Londres.

Peu avant ses 30 ans, Cromwell s’engage en politique, et devient membre du Parlement. C’est un homme de haute taille, à l’œil vif et au teint rouge. Et un idéaliste ! Voici comment le décrit l’un de ses collègues : « Il portait son habit de drap tout uni, grossièrement coupé, son linge grossier, sa rapière serrée contre sa cuisse. Il parlait avec une éloquence pleine de ferveur. Le motif de son discours n’était guère raisonnable : il plaidait pour un domestique qui avait distribué des libelles contre la reine. Je dois avouer que l’attention avec laquelle ce gentilhomme fut écouté diminua beaucoup ma révérence pour cette grande assemblée. »

En novembre 1640, suite à sa défaite contre les troupes écossaises, le roi d’Angleterre aux abois réunit le Parlement pour voter de nouvelles levées d'impôts. Mais la Chambre est hostile au pouvoir personnel du roi et un bras de fer débute, qui permet l’émergence de nouveaux leaders, dont John Pym et Oliver Cromwell. Le premier fait voter la « Grande Remontrance » qui énumère les griefs contre la couronne. Le second se lance dans une défense passionnée de la religion puritaine. Son éloquence est alors violente et mordante ; il est un démagogue propre à exalter les foules et rallier les suffrages des indécis.

Visionnaire et chef de guerre

Cromwell est conscient que la situation va dégénérer entre le roi et le Parlement, et qu’au final ce sont les armes qui décideront de la future répartition des pouvoirs. Il fait lever à ses frais une troupe de cavaliers, les Ironsides (« côtes de fer »), et montre de grandes compétences de meneur d’hommes et de chef de guerre. Les soldats recrutés sont acquis à la cause protestante et puritaine, fidèles à Cromwell (et non au Parlement), parfois à la limite du fanatisme.

Durant les années de guerre civile, Cromwell ne cesse de prôner un idéal, convaincu qu’il faut rétablir le Paradis sur terre en obtenant la liberté et l’égalité pour tous. Il rejoint en cela les revendications du groupe des niveleurs (ou levellers).

A la bataille de Marston-Moor en juillet 1644, Cromwell commande l’aile droite, soit 2500 hommes, et emporte une victoire décisive contre les troupes royales. Le Parlement réforme totalement l’armée, reprenant de nombreux principes lancés par Cromwell. Ainsi les promotions y deviennent le fait de compétences plutôt que de rang social, ainsi que l’a recommandé Cromwell : « Je préfère un capitaine à manteau rouge ordinaire qui sait pourquoi il se bat, et aime ce qu’il sait, à ce qu’on appelle un gentilhomme… et qui n’est rien d’autre ».

Une ambition victorieuse

Poursuivant son combat pour la liberté politique et religieuse, les victoires et défaites indécises laissent place le 14 juin 1645 à un triomphe des armées parlementaires. Le roi Charles Ier est livré et doit être jugé. Mais la majorité presbytérienne souhaite un accord et déclenche la fureur de la minorité puritaine, de Cromwell et de ses soldats. Ces derniers nomment des représentants : les « agitateurs ». Cromwell tente vainement de concilier les partis avant de se rallier à l’armée. Le pouvoir est alors divisé en trois factions : les parlementaires presbytériens soutenus par la foule londonienne, les parlementaires puritains soutenus par l’armée et le roi soutenu par les Ecossais et les Irlandais.

Charles Ier s’enfuit et lève une armée écossaise bien supérieure en nombre. Cromwell fait preuve d’un rare génie militaire et laisse l’armée adverse se disperser sur plus de 60 kilomètres. En une série de petits combats séparés, il pulvérise les forces royales et écossaises et capture le roi. Il faut forcer le Parlement à prendre une décision définitive. Cromwell charge le colonel Pride d’empêcher par la force les parlementaires hostiles à l’armée, proches des idées presbytériennes ou royalistes, de siéger. Le Parlement « croupion » vote le procès du roi, condamné et exécuté le 30 janvier 1649. Avec la mort du roi et un Parlement épuré, la question politique est « tranchée », « cruelle nécessité ».

Quand l’ordre et la réalité prennent le pas sur l’idéal

Cromwell lance une expédition militaire en Ecosse et en Irlande, jalonnant les conquêtes par des répressions sanglantes. Revenu triomphant à Londres, Cromwell se heurte au Parlement qui entend bien gouverner en toute indépendance. Aussitôt, l’armée chasse les derniers parlementaires. Cromwell gouverne sous la forme d’une dictature militaire avant de tenter la création d’un « Parlement nommé » qu’il renvoie peu de temps après. Lors de cette dissolution, il annonce : « Allons, Moi, ou plutôt le Seigneur, nous en avons assez. Je vais mettre fin à votre bavardage. Il ne convient ni de l’intérêt de ces nations, ni au bien public, que vous siégiez ici plus longtemps. Je vous déclare donc que je dissous ce Parlement. » Devant la porte de la salle des séances, un écriteau annonce : « Chambre non meublée à louer ».

Nommé Lord Protecteur, Cromwell règne sans partage, mais il est angoissé tant le pouvoir reste instable. Ses détracteurs annoncent : « Nous nous sommes battus pour que la nation puisse se gouverner selon son choix ». Cromwell rétorque : « Mais où le trouverons-nous ce choix ? Chez les épiscopaliens, les presbytériens, les indépendants, les anabaptistes ou les égalitaires ? » Il est déçu et amer. Chaque fois qu’il fait appel aux députés, les attaques contre lui sont vives. Le 4 février 1658, il déclare aux députés convoqués : « De tout cela il ne peut sortir que de la confusion et du sang. Je crois qu’il est grand temps de mettre fin à votre session et je dissous ce Parlement. Que Dieu juge entre vous et moi. »

Quelques mois plus tard, Oliver Cromwell va mourir sans avoir pu faire perdurer ni sa république, ni sa tyrannie, ni son paradis. Deux ans plus tard, l’Angleterre renouera avec la royauté. Pour l’historien François Guizot, Cromwell aura exercé « un pouvoir reconnu nécessaire, mais qui n'était accepté de personne ». Il deviendra alors l’exemple du révolutionnaire converti au réalisme, prenant conscience de l'impossibilité de mener à bien en Angleterre ses projets républicains. Un constat qui va le déprimer, le rendant mélancolique, nerveux, voire violent. « Ce loup devenu berger ne songeait plus qu’à mordre »…

Comme Cromwell, confrontez-vous à la réalité

Trouvez vos opportunités en cherchant un juste équilibre entre rêve et réalités. Si Cromwell était d’un caractère plus passionné que raisonnable, vous gagnerez quant à vous à être à la fois optimiste et pessimiste. L’optimisme permet d’atteindre ses objectifs en engageant son équipe dans une vraie dynamique. Mais s’attendre au pire permet de prédire les obstacles et de faire en sorte de les éviter ! La juste balance entre ces deux états d’esprit est ainsi décisive :

  • Refuser tout pragmatisme a toutes les chances de vous envoyer dans le mur…
  • … mais abandonner complètement ses rêves finit par briser la plus belle des motivations.

Avec la Petite histoire des Grands managers, nous vous proposons chaque mois les expériences concrètes des leaders du passé, source intarissable de réflexion et d’inspiration pour les managers d’aujourd’hui. 

Docteur en histoire, spécialiste du patrimoine et certifié Predom, Yann Harlaut est consultant culturel. Il est auteur de différents ouvrages parmi lesquels « Négocier comme Churchill. Comment garder le cap en situations difficiles » et « Convaincre comme Jean Jaurès. Comment devenir un orateur d’exception », tous deux aux éditions Eyrolles.