Gestion de l'entreprise

Le courage, botte secrète du leadership ?

Alors qu’il est une composante essentielle du leadership et de la gouvernance, le courage, en entreprise, n’est pas toujours récompensé à son juste prix - et il peut même coûter cher à qui en fait preuve. C’est pourtant un levier de performance individuelle et collective aussi bien qu’une vertu à encourager sans modération. Bienheureux les audacieux… mais attention aux téméraires.
#QVT entreprise #Organisation #Inspiration
15 mars 2018

Alors qu’il est une composante essentielle du leadership et de la gouvernance, le courage, en entreprise, n’est pas toujours récompensé à son juste prix - et il peut même coûter cher à qui en fait preuve. C’est pourtant un levier de performance individuelle et collective aussi bien qu’une vertu à encourager sans modération. Bienheureux les audacieux… mais attention aux téméraires.

Quelles images vous viennent en premier à l’esprit quand vous pensez au courage ? Des soldats qui montent au front ? Des sauveteurs qui risquent leur vie ? Des sportifs qui vont au bout de leurs limites ? Des aventuriers intrépides ? Sans doute. Bayard sans peur et sans reproche, Churchill et son insolent mépris du danger, les conquérants de l’Everest, etc., toutes ces figures de l’audace mise au service d’une grande cause (humanitaire, sportive, politique …) vous semblent incarner à merveille cette valeur cardinale.

Mais songez-vous tout aussi spontanément au monde de l’entreprise quand vous recherchez des exemples de conduites courageuses, de comportements altruistes et, a fortiori d’actions héroïques ? Pas sûr. Et pourtant, l’entreprise est une terre d’élection de cette grande valeur. Il en faut, pour être exemplaire, intègre, loyal. Il en faut pour décider, pour entreprendre, pour piloter le changement, guider ses équipes, assumer ses propres erreurs et accepter celles des autres. Et pour ne pas se décourager dans l’épreuve… ou baisser les bras devant toutes les petites lâchetés dont l’entreprise peut également être le théâtre.

Une valeur avec un grand V

« D’une certaine façon, on peut dire que le courage, c’est LA valeur par excellence », explique la philosophe Sophie Chassat, qui dirige Intikka, une agence de conseil en philosophie de marque et en identité verbale.

Cette normalienne précise : « Le premier sens attesté de l’emploi du mot « valeur » dans notre langue, au 12e siècle, est celui de courage. On l’entend encore aujourd’hui à travers les adjectifs valeureux et vaillant, ou dans le vers du Cid que nous avons tous appris à l’école : La valeur n’attend point le nombre des années, ou encore dans la devise de Jacques Cœur qui est aussi une devise d’entrepreneur : À cœur vaillant rien d’impossible. La valeur par excellence, la valeur cardinale, la clé de voûte d’un système de valeurs, c’est le courage ! ».

A la question : « Qu’est-ce que le courage ? », elle répond : « Le fait de mettre en cohérence ses principes et ses actions : transformer le réel pour le faire correspondre au mieux avec ses idéaux, ou donner réalité à ses idéaux pour qu’ils n’en restent pas au seul niveau de l’intention pieuse. »

Courage d’agir, donc, malgré les obstacles et les mille raisons – peur, doute, fatigue, appréhension, procrastination, etc. - qui nous incitent au contraire à ne pas entreprendre…

Le courage de dire non

Décider, trancher, choisir, orienter, etc. : passer à l’action, c’est dire non à certaines options, à certaines situations, à certaines préférences individuelles ou collectives et donc, aussi, à certaines personnes.

Le leader ou le manager qui ne sait jamais dire non – aux clients, aux collaborateurs, à la hiérarchie – peuvent bien être habiles, circonspects, agiles. Mais on ne pourra pas les qualifier de courageux et ils n’inspireront pas le respect admiratif que s’attirent les chefs qui, eux, savent dire non, et ne s’embarrassent pas d’être aimés à tout prix – tant le risque d’impopularité réclame lui aussi du courage.

Un exemple ? Steve Jobs. Qui tenait tête à son conseil d’administration, refusait de servir les intérêts des actionnaires s’ils n’épousaient pas ceux de sa société, rabrouait les financiers, se moquait des études marketing quand il lançait un nouveau produit, et ne reculait en aucune circonstance à tancer vertement ses collaborateurs défaillants. Visionnaire et abrupt, audacieux et tyrannique, volontaire dans tout ce qu’il entreprenait, le mythique fondateur d’Apple offre l’exemple même du dirigeant charismatique, impétueux, injuste parfois, mais ne se dérobant jamais à ses responsabilités ; et sachant dire « non », « niet », « zut » (ou pire).

« La différence entre les gens qui réussissent et ceux qui réussissent vraiment est que ces derniers disent non à tout ou presque », a coutume de déclarer Warren Buffett. Le célèbre milliardaire sait que le succès dans les affaires tient en partie au fait de rejeter des propositions, d’écarter les solliciteurs, de refuser des projets qui paraissent mirobolants.

Tout le monde n’est pas Jobs ou Buffett. Mais à chacun de nous il est loisible de dire non, de refuser les compromis bancals, et, en cas de désaccord irrémédiable, de démissionner ou de mettre un terme à un contrat commercial ou de travail néfaste. Ce qui réclame à la fois du cran, du nerf, de la bravoure, de l’estomac, du cœur …

Un outil de leadership

La philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury observe dans son livre La fin du courage une érosion générale du cette valeur, notamment dans le monde du travail. Elle lie cette érosion à deux phénomènes :

  1. un écart entre ce que les managers et collaborateurs doivent faire et ce qu’ils estiment être juste moralement,
  2. une difficulté croissante qu’ils éprouvent à répondre à des injonctions contradictoires.

L’image qu’ils ont d’eux-mêmes s’en trouve affectée, ainsi que leur capacité à agir.

Face à ces dilemmes, « il n’existe qu’une seule manière de se protéger : assumer ce en quoi l’on croit et ne pas renier ses valeurs morales ». Pas toujours facile quand « le courage est solitaire et sans victoire », qu’il ne garantit en rien la réussite, et fait même peser un risque de mise à l’écart pour celui qui en fait preuve. Alors que beaucoup parmi les prudents, les précautionneux, les circonspects, sauront passer entre les gouttes et obtenir de l’avancement sans avoir risqué grand chose.

« A manager vaillant, rien d’impossible ? » Pas sûr. Mais tellement plus digne et gratifiant que l’esprit planqué, la passivité, l’art du dos rond et du renvoi de la patate chaude. Le courage d’oser - oser dire et faire, d’être soi en un mot : n’est-ce pas là le pilier d’un vrai et valeureux système de valeurs managériales ?

Evaluer le degré d’acceptation du courage dans votre entreprise

Et vous, quel est le degré d'acceptation du courage dans votre entreprise ? Ces questions sauront peut-être vous guider :

  • Comment votre entreprise accompagne-t-elle la prise de risque ? L’erreur est-elle sanctionnée, tolérée ou encouragée ?
  • Comment le dirigeant agit-il face à ses propres erreurs ? Chaque collaborateur connaît-il son périmètre de responsabilité et son pouvoir de dire non ?
  • Comment s’organise la délégation, cet acte de courage qui consiste à accepter de perdre une certaine forme de contrôle et de pouvoir ?
  • Quelle place laisse l’entreprise au jugement, à l’expression des sentiments, aux analyses dissonantes, à la parole libre ?
  • Et surtout, quelle place pour l’audace … (qui ne se confond pas avec l’esprit casse-cou) ?

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