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Le comptable au cinéma : un personnage qui compte ?

Le comptable est-il un héros dans votre entreprise ? Il arrive en tous cas qu’il le soit au cinéma ! L'historien Yohann Chanoir analyse la représentation du comptable dans 10 films de 1976 à nos jours.
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13 mai 2019

Le comptable est-il un héros dans votre entreprise ? Il arrive en tous cas qu’il le soit au cinéma ! L'historien Yohann Chanoir analyse la représentation du comptable dans 10 films de 1976 à nos jours.

Pas toujours le beau rôle, d’accord

A l’écran comme ailleurs, les clichés collent à la peau des financiers d’entreprise. Le cinéma tant hollywoodien que français a souvent dépeint le comptable comme un personnage sans réel charisme, au métier aussi ennuyeux que lui. La quintessence de la caricature est incarnée à l’écran par la figure de François Pignon (Un Dîner de cons, Jacques Veber, 1998). Lourd, sans conversation, peu attirant physiquement et employé au ministère des Finances dans un poste sans perspective, François Pignon est le dindon désigné de la farce.

Le comptable est souvent traité comme un faire-valoir, sujet à plaisanterie. Personnage secondaire dans Ghost Busters (Ivan Reitman, 1984), le comptable invite à son anniversaire ses collègues de bureau plutôt que ses amis. De cette manière, il pourra déduire les frais du pot… de ses impôts !

La profession est dépeinte avec peu de perspectives, voire comme un échec plus qu’une réussite. Dans Agents presque secrets (R.M. Thurber, 2016), Calvin Joyner, meilleur élève de son lycée, lauréat de nombreux prix d’excellence, est devenu comptable dans une entreprise. Il l’avoue à un de ses camarades de promotion : il pensait être « destiné à beaucoup plus ».

A l'écran, la compta suscite rarement des vocations familiales, sinon dans de rares exemples comme Mr. Wolff (Gavin O’ Connor, 2016), via la figure de Dana Cummings. Employée au service comptabilité d’une société de prothèses high tech, elle a embrassé la carrière pour suivre l’exemple de son père.

Mais si on ne naît pas comptable, on peut aussi le devenir. Ainsi dans Les Evadés (Franck Darabont, 1994), le banquier Andy Dufresne, accusé à tort d’un double meurtre, devient le comptable du directeur du pénitencier où il est enfermé. Le réalisateur place alors la focale sur l’expertise consubstantielle à la profession. La connaissance de la législation fiscale et bancaire en vigueur, la maîtrise de la dimension juridique, la capacité à gérer un budget et l'aptitude à proposer des idées motrices rappellent que tout comptable abrite un véritable expert !

Un autre regard sur la fonction

Le comptable peut aussi bénéficier d’une représentation plus dense. Dans Les Incorruptibles (Brian De Palma, 1987), deux comptables sont mis en scène. L’un travaille pour la brigade financière chargée de traquer Al Capone à Chicago lors de la Prohibition. L’autre est au service du gangster. En dépit de quelques similitudes (port de lunettes, aptitude à manier les chiffres, connaissance de la législation fiscale…), le premier apparaît plus brave que le second. Il n’hésite pas à sortir de sa zone de confort pour faire le coup de feu, trouvant les aspects tactiques du métier de policier plus amusants que les livres de comptes. Mieux encore, son intuition initiale (faire condamner Capone pour fraude fiscale), moquée par Eliott Ness au début du film, sera bel et bien celle qui permettra à la justice d’envoyer le criminel en prison. L’emprisonnement du parrain au terme du long métrage souligne la plus-value qu’apporte le comptable au sein d’une institution.

Dans La Liste de Schindler (Steven Spielberg, 1993), Itzhak Stern, le comptable de l’industriel allemand Schindler, est incarné par Ben Kingsley[1]. Aux côtés d’un industriel un peu dilettante, c’est bel et bien lui qui assure la bonne marche de l’entreprise en véritable bras droit du dirigeant. Cinq ans plus tard, c’est William H. Macy qui exerce une profession similaire dans Préjudice (Steven Zaillian, 1998). Il s’efforce de sauver le cabinet juridique qui l’emploie, en réduisant la surface financière de la société, et en acceptant même le sacrifice de ses points retraites et de sa propre maison. De toute évidence, le comptable des productions des années 1990 démontre son engagement dans l’entreprise…

Mr. Wolff érige le comptable en héros principal, interprété par la star Ben Affleck. Ce titre marque une autre rupture dans la vision de la profession. De nombreuses productions d’Hollywood (citons Midnight Run, Martin Brest, 1988), mettaient en effet en scène le comptable comme un personnage clé d’organisation criminelle. Dans Mr. Wolff, même s’il travaille pour de telles structures, le personnage de Ben Affleck n’est pas un hors-la-loi ! Car il dénonce régulièrement ses employeurs au Département du Trésor des États-Unis, et verse la majeure partie de sa rémunération à une œuvre caritative. De même, la première scène le voit donner de judicieux conseils fiscaux à un couple de fermiers menacés par la saisie. La séquence souligne ainsi que la fonction de comptable mobilise non seulement des aptitudes professionnelles solides mais aussi des valeurs morales fortes !

Des comptables qui ne travaillent jamais ?

Si nombreux sont les personnages de comptables dans les films, on les trouve fort peu représentés dans leur activité proprement dite. Dans Death Journey (Fred Williamson, 1976), et selon un procédé habituel, aucune scène ne montre ainsi le comptable au travail. Les Incorruptibles insiste davantage sur le produit de l'action (le livre de comptes codés) que sur celle-ci. La fonction comptable serait-elle peu cinégénique ? Ca ne sera pas forcément une surprise !

On mesure alors la rupture apportée par Mr. Wolff en 2016. Engagé par une société de robotique pour identifier des irrégularités financières, le héros analyse en une nuit 15 années de chiffre d’affaires. La scène du comptable en plein travail dure presque deux minutes sur un total de 126. Rarissime à l’écran.

Elle met aussi l’accent sur les qualités intellectuelles mobilisées par la profession : capacité à mémoriser, analyse systémique, vision transversale d’une entreprise… Et de fait, le comptable de cinéma présente souvent des aptitudes remarquables. Dans Death Journey, il travaille ainsi sans notes, sans livres, mémorisant l’ensemble des données sur des années.

 

On le voit, le cinéma sait rappeler que le comptable est certes un gestionnaire, mais aussi celui qui forge un système de données sur lesquelles baser un choix stratégique à moyen et long terme. Décidément, le comptable au cinéma est un personnage qui compte !

Yohann Chanoir

 

Photo : Gare centrale de Chicago (Les Incorruptibles) - Ben Schumin