Gestion de l'entreprise

Ouvrir les yeux sur les addictions

Trop souvent, les managers ferment les yeux sur les addictions de leurs collaborateurs. Pour ces derniers, comme pour le collectif de travail, il est pourtant essentiel d'en parler.
#Bien-être salarié #Santé
08 février 2016

Trop souvent, les managers ferment les yeux sur les addictions de leurs collaborateurs. Pour ces derniers, comme pour le collectif de travail, il est pourtant essentiel d'en parler.

En novembre 2006, la direction de l'AP-HP a mis en place la mission Fides (confiance, en latin) pour son personnel. Son objectif : développer une politique de prévention et de prise en charge des addictions liées à la consommation de produits psycho actifs, en particulier l'alcool. Le plan d'actions suit trois axes : prévenir et sensibiliser les salariés, notamment au travers d'une charte qui souligne “l'engagement de tous et l'engagement de chacun” ; gérer les risques en aidant les hôpitaux sur la conduite à tenir en particulier en situation de crise ; accompagner les personnels qui souffrent d'une addiction en leur facilitant la prise en charge et l'accès aux soins.

Un sujet trop souvent tabou

La mission Fides est un exemple de prise en charge globale des addictions dans l'entreprise. Pour Aude-Sophie Cagnet, psychologue et hypnothérapeute intervenante de l'association SOS Addiction, « il est indispensable qu'elle engage tout le monde, et particulièrement la direction ».

Quelle que soit la forme de l'addiction, le sujet reste trop souvent tabou en entreprise. Pire, selon Aude Sophie Cagnet, « le modèle compétitif calqué sur le milieu sportif, qui exige toujours plus des salariés, peut conduire à les rendre dépendants. Consommer des produits psychostimulants, par exemple des médicaments détournés de leur usage, finit par devenir une conduite normalisée, à l'instar des conduites dopantes chez les sportifs ».

Autre travers, certains rites sociaux qui vont à l'encontre d'une politique de prévention. Exemple typique : les pots à répétition incluant de l'alcool, ou le vin consommé trop largement lors du déjeuner. Ces coutumes sont heureusement en régression.

La prévention d'abord

D'où l'importance de marteler le message. « Nous proposons différents supports dans les entreprises, explique Jacky Billard, secrétaire national adjoint de Vie Libre*. Il s'agit de mettre l'accent sur ce qui fait qu'à un moment, quelqu'un peut déraper. » Dans le cadre de la mission Fides, un établissement de l'AP-HP a organisé un spectacle de théâtre avec des saynètes sur la consommation de différents produits, écrites à partir d'expériences vécues par les personnels. Une représentation qui a tourné dans d'autres établissements.

Reste que la prévention ne peut pas tout. Les signes ne manquent pas pour alerter d'une possible conduite addictive : absentéisme, retards, absences répétées de son poste dans la journée, nervosité, agressivité, fébrilité… « Généralement, tout le monde est au courant, mais personne n'ose en parler, parce qu'il s'agit d'un collègue ou parce qu'on s'identifie à lui, explique Aude Sophie Cagnet. Bien souvent, le sujet est abordé seulement lorsqu'il y a un incident. » Et parfois trop tard, quand l'incident se transforme en accident.

En parler directement

Ne pas fermer les yeux, rester vigilant vis-à-vis des salariés qui présentent des signes potentiels d'addiction, et en parler directement : « La première réponse de l'intéressé sera le déni, explique Jacky Billard. Il ne faut pas insister, mais revenir sur la question plus tard et proposer des aides auprès du CHSCT, ou du médecin du travail. La personne en fera ce qu'elle veut ou ce qu’elle peut, la prise de conscience ne peut venir que d'elle–même ».

À chaque comportement addictif, son histoire singulière. Ce n'est certes pas au manager de résoudre le problème, du moins peut-il ouvrir des pistes. Et pour le collectif de travail, « il est important d'intégrer le phénomène, insiste Aude Sophie Cagnet. On sait que quelqu'un est dépendant autour de soi. ».

Intégrer sans stigmatiser. « Les gens ont du mal à comprendre que l'addiction à l'alcool ou à une autre drogue est une maladie, conclut Jacky Billard. Ils pensent que c'est de la faute de la personne et qu'il suffit de s'arrêter. »

*Vie Libre est une association d'aide aux malades alcooliques.

Les addictions, un phénomène de grande ampleur

  • 91 % des dirigeants déclarent que les salariés de leur entreprise consomment au moins un produit psychoactif.
  • 7,8 % des salariés ont un problème avec l’alcool, les cadres étant proportionnellement plus touchés.
  • 90 % des médecins du travail ont été sollicités par un DRH pour des problèmes d’alcool.
  • 9 % des actifs ayant un travail ont consommé du cannabis en 2014, 16 % des demandeurs d’emploi.
  • 21,7 % des agriculteurs ont une consommation quotidienne d’alcool, devant les artisans, commerçants (17,1 %) et les ouvriers (13,3 %).

Enquête BVA 2014 réalisée par téléphone pour la Mildeca (Mission Intermnistérielle de la Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives) auprès de 605 dirigeants, encadrants et personnels RH.